ENTRETIEN. Lutte contre l'ingérence étrangère : "Par principe, il faut se méfier de tout le monde", affirme le député Sacha Houlié

Publié le
Valentin Marcinkowski

l'essentiel Le rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), présidée par le député Renaissance Sacha Houlié, alerte sur les ingérences étrangères dont la France serait la cible. Face à cette "menace omniprésente", une prise de conscience est nécessaire selon l'élu.

L'ingérence étrangère représente une menace "protéiforme, omniprésente et durable" pour la France est-il écrit dans le rapport, comment cela se matérialise ?

La menace provient de beaucoup d'émetteurs différents, notamment de la part de pays "dangereux" qui pratiquent une ingérence offensive à l'égard de la France. Je pense à la Russie pour la manipulation d'informations, l'approche de dirigeants politiques ou autres tentatives de déstabilisation. Pour la Chine, on évoque plutôt la prédation économique principalement. Selon le Parti communiste chinois, il y a une volonté, pas toujours réalisée et heureusement, que chaque citoyen chinois vivant à l'étranger puisse être un agent. La Turquie, elle, s'inscrit dans les domaines religieux et/ou cultuelles.

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Et concernant les différentes formes d'ingérence ?

Cela passe par une volonté de nuire au pacte social d'un pays via des fake news, la volonté de capter des richesses en s'appropriant des connaissances scientifiques, en rachetant des sociétés françaises. Avant, un contrôle automatique était déclenché à hauteur de 25% lors d'une prise de participation émanant d'une société étrangère. Aujourd'hui, ce seuil a été ramené à 10%, ce sera encore le cas en 2024, et on propose de le pérenniser définitivement.

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Où commence l'ingérence et où s'arrête le lobby ?

La frontière est extrêmement ténue. Si une action offensive est menée dans le but de favoriser les intérêts d'une puissance étrangère et que cela porte préjudice, déstabilise le nôtre, on parle d'ingérence. Le lobby se situe lui dans une logique de lutte d'influences.

Des actions de déstabilisation et de prédation menacent notre pays. La délégation parlementaire au renseignement (DPR) les a étudiées, recensées et propose des actions pour s'en prémunir.

Découvrez le rapport sur les ingérences étrangères en France !
Le vrai, pas celui du RN. pic.twitter.com/jS4SVZ6rvE

— Sacha Houlié (@SachaHoulie) November 2, 2023

"Quand on parle d'anti-ingérence, on rentre dans le chacun pour soi"

Comment un pays puissant comme la France peut-il être coupable de "naïveté et de déni" face aux puissances extérieures ?

Ce n'est pas la France en elle-même, mais plutôt son corps social qui est naïf. Les citoyens doivent être les premiers acteurs pour défendre nos intérêts. Le but de ce rapport, c'est aussi de rendre hommage aux travaux des services de renseignement. Il y en a six de premier cercle, dont trois qui sont les principaux engagés dans la lutte contre l'espionnage, la déstabilisation, les ingérences. Le plus connu, à l'intérieur de nos frontières, étant la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI).

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Tout le monde peut-être concerné par l'ingérence ? Ou cela concerne seulement la région parisienne et les grandes villes ?

Quand on parle de naïveté, cela concerne tout le monde dans les territoires. Pour le politique, il s'agit aussi bien des élus nationaux que locaux. On pourrait parler, par exemple, d'un maire d'une petite commune qui ne voit pas le mal à travailler avec une société étrangère car cela fait de l'investissement pour le compte de son territoire. Mais à Toulouse, cela revêt une importance capitale au regard de la protection de notre secteur aéronautique. Il y a un travail de sensibilisation à mener.

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Comment ne pas tomber dans la paranoïa ?

Par principe, il faut se méfier de tout le monde. Nos alliés ne sont pas toujours nos amis, on l'a vu avec le développement, par des Israéliens, du logiciel d'espionnage Pegasus (*). Dans le renseignement, il y a eu un grand chamboulement ces derniers temps. Pendant des années, tout le monde coopérait dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Mais quand on parle d'anti-ingérence, on rentre dans le chacun pour soi.

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Le milieu universitaire est-il une proie facile aux ingérences ?

Il est de mieux en mieux armé pour lutter mais il y a encore du travail, des progrès à faire. De par son essence, le monde universitaire s'inscrit dans une logique d'ouverture, de partage. La difficulté, c'est de trouver le bon dosage pour protéger nos connaissances sensibles.

Parmi les 22 recommandations du rapport pour lutter contre l'ingérence, lesquelles sont les plus urgentes à mettre en place ?

Déjà celle qui prévoit l'obligation de déclaration des agents en France agissant pour le compte d'une puissance étrangère. Ça peut paraître naïf comme propos mais en cas de non-déclaration, ça donne les moyens de prendre des sanctions pénales qui peuvent aller jusqu'à l'expulsion. 

(*) Vendu au Maroc, il aurait permis le possible espionnage de nombreux dirigeants politiques jusqu’au sommet de l’État avec un téléphone portable du Président de la République potentiellement visé ainsi que ceux de 14 ministres en exercice, rappellent les auteurs du rapport.
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