Jacques Viguier : "L'État doit réparer son erreur"
Acquitté du meurtre de son épouse par les cours d'assises de Haute-Garonne et du Tarn, Jacques Viguier publie « Innocent », un livre-témoignage qu'il considère comme une étape sur son parcours de reconstruction personnelle. La prochaine : obtenir de l'État la réparation financière du préjudice physique et moral qu'il a subi.
Trois mois après avoir été définitivement acquitté du meurtre de son épouse disparue mystérieusement en février 2000, Jacques Viguier publie cette semaine « Innocent », un livre-témoignage dans lequel le professeur de Droit toulousain raconte « Son affaire Viguier » et expose les raisons qui, selon lui, ont amené les soupçons à se diriger contre lui. Il évoque surtout la douleur qui le taraude depuis 10 ans, les épreuves qu'il a traversées, les traumatismes qu'il a supportés. Jacques Viguier est engagé dans un long processus de reconstruction personnelle dont cet ouvrage, comme la reconnaissance de son innocence, n'est qu'une étape avant la prochaine : obtenir de l'État une indemnisation financière des préjudices qu'il a subis.
Par deux fois, les jurys populaires des cours d'assises de Haute-Garonne et du Tarn vous ont acquitté. Pourquoi avez-vous jugé utile de clamer votre innocence dans un livre que vous publiez cette semaine ?
J'ai commencé à écrire en 2007, quand, après la scandaleuse dénonciation d'un corbeau, une sépulture dans laquelle j'aurais caché le corps de Suzy a été violée par les enquêteurs. Il s'agissait, bien entendu, d'un mensonge de plus, mais cette fois-là, j'ai été bouleversé. L'écriture a été un exutoire, un déversoir où j'ai commencé à évacuer la rage et la douleur qui m'avaient envahi tout au long de ces années d'épreuves. Mon psychiatre m'a encouragé à continuer. J'ai donc noirci des pages de notes. L'exercice avait alors vocation thérapeutique. Jusqu'à mon acquittement définitif, j'ai scrupuleusement respecté le secret de l'instruction. Aujourd'hui, je considère que le temps est venu de m'exprimer et de démontrer qu'au fond, j'ai été soupçonné sur la base d'un dossier parfaitement vide.
À qui s'adresse cet ouvrage ?
Tous ceux qui me connaissent m'ont toujours soutenu et n'ont jamais douté de mon innocence. Mais tout le monde ne partage pas forcément cette conviction. Dans mon livre, je démontre que les pièces du dossier sur lesquelles a été établie ma culpabilité ne résistent pas à l'épreuve des faits et de la réalité objective.
Vous vous êtes donc replongé dans vos documents et vos souvenirs. A quel moment ce voyage dans le temps a été le plus douloureux. Lorsque votre épouse n'a plus donné signe de vie, quand les soupçons ont commencé à se diriger vers vous, quand vous avez été emprisonné ?
Mon placement en garde à vue d'abord, puis mon incarcération provisoire ensuite, ont été les pires épreuves que j'ai traversées. Ces sont des blessures dont on reste marqué à vie.
Olivier Durandet, l'amant de votre épouse, annonce son intention de publier à son tour. Vous êtes choqué ?
Je doute qu'il ait vraiment rédigé un manuscrit. Je suis innocent, je suis légitime dans ma démarche. Mais lui, qu'a-t-il à raconter ? Il s'est rendu coupable de subornation de témoin. Je n'ai aucun respect pour lui et l'ouvrage qu'il prétend écrire n'en mérite pas davantage.
À quoi ressemble la vie de Jacques Viguier aujourd'hui ?
C'est une existence ordinaire, une vie familiale simple avec mes deux fils qui passent le bac et ma fille qui poursuit ses études d'infirmière. Et puis il y a ma vie professionnelle, mes cours, et les examens en ce moment.
Comment vous projetez-vous dans l'avenir ? Avez-vous songé à quitter Toulouse, cette maison ?
Pourquoi partirais-je, alors que je suis innocent ? Quant à cette maison, il s'agit d'un bien que nous avons acquis en commun avec mon épouse. Jusqu'en 2020, elle reste considérée comme « disparue ». D'un point de vue plus personnel, la plaie qui me tourmente depuis 10 ans se referme progressivement. Je sais toutefois qu'il en restera forcément une cicatrice, une marque indélébile. Je me reconstruis, étape par étape.
Quelle sera la prochaine ?
Je veux que l'État reconnaisse les erreurs qu'ont commises ses institutions policière et judiciaire. J'ai été accusé du meurtre de mon épouse, j'ai été placé en garde à vue, j'ai été emprisonné. Et parce que l'enquête n'a pas été menée correctement, je n'ai toujours aucune réponse sur ce qui est vraiment arrivé à mon épouse. Un recours a donc été déposé par mes avocats. Il suit son cours. Une indemnisation pour les neuf mois que j'ai passés en prison, et des dommages et intérêts pour le préjudice subi ont été demandés (NDLR : un million d'euros). Oui, je considère que l'État a une dette envers moi que mes acquittements par les jurys populaires des cours d'assises de Haute-Garonne et du Tarn ne sauraient avoir effacée.
Si votre requête est satisfaite, considérerez-vous que justice a été définitivement rendue à votre égard ?
Je pense que si nous étions gouvernés par des hommes de courage, des sanctions devraient être prises contre certaines personnes des appareils judiciaire et policier. La libération totale et définitive, pour mes enfants comme pour moi-même, n'interviendra toutefois que lorsque nous saurons enfin ce qui est arrivé à Suzy.
Ce samedi à Toulouse, la librairie Chapitre-Privat, 14 rue des arts, accueillera Jacques Viguier pour une séance de dédicaces.
Une indemnisation pour les neuf mois que j'ai passés en prison, et des dommages et intérêts pour le préjudice subi ont été demandés (NDLR : un million d'euros)
Le chiffre : 1 million
d'euros > Indemnisation. C'est le montant de la réparation financière demandée par les avocats de Jacques Viguier, dont Me Levy à Toulouse, au titre de l'indemnisation pour les 9 mois passés par le professeur de Droit en prison, et des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
« Si nous étions gouvernés par des hommes de courage, des sanctions devraient être prises contre certaines personnes des appareils judiciaire et policier ». Jacques Viguier, professeur de Droit
Chronologie
- 16 octobre 1957, naissance de Jacques Viguier, à Toulouse.
- 27 novembre 1961, naissance de Suzanne Blanch, à Aurillac.
- août 1988, mariage.
-27 février 2000, disparition de Suzy, âgée de 38 ans.
- 1er mars, Jacques Viguier déclare la disparition de sa femme.
- 10 mars : visite de la maison de la rue des Corbières par la PJ qui constate l'absence du matelas du clic-clac.
-12 et 13 mars : Jacques Viguier est placé en garde à vue pendant 40 heures.
- 11 mai : Jacques Viguier est mis en examen et écroué.
- 15 février 2001 : Jacques Viguier est libéré.
- 5 janvier 2005 : Jacques Viguier est renvoyé devant les assises.
- 22 février 2006 : il est renvoyé par la chambre de l'instruction après l'appel de ses avocats.
- 30 avril 2009, acquitté par la cour d'assises de la Haute-Garonne.
- 20 mars 2010, acquitté par la cour d'assises d'appel à Albi.
entretien
« La décision fera jurisprudence »
Jacques Viguier peut-il effectivement demander réparation contre l'État ?
Laurent Boguet, Avocat au barreau de Toulouse. Dans le domaine du Droit, clairement oui. Le fait d'avoir été acquitté, après avoir été en détention provisoire lui permet de déclencher cette procédure. Il s'agit d'une demande d'indemnisation à l'encontre des pouvoirs publics. C'est une démarche habituelle ouverte à tous les justiciables. Après la décision s'apprécie au cas par cas.
C'est-à-dire ?
Chaque procédure est différente. En l'occurrence, on étudie le préjudice causé par la garde à vue et on examine la façon dont elle a pénalisé l'individu. Pour les jeunes qui sont arrêtés dans les banlieues puis relâchés, cela peut atteindre les 1 000 à 1 500 euros.
Et dans un cas comme Jacques Viguier ?
Nul doute qu'il va bien préparer son dossier et qu'il va revendiquer
réparation à hauteur de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers d'euros.
Mais dans le même temps, son préjudice financier a été minime : il a continué à percevoir son salaire d'universitaire pendant son incarcération. Et il vient de publier un livre. Donc, c'est surtout le préjudice moral, lié à toute la surexposition médiatique, qu'il peut revendiquer. Maintenant, je peux vous choquer, mais le préjudice moral a ses propres codes. Une famille qui perd un enfant, reçoit pour préjudice moral 20 000 à 25 000 euros. Donc, à voir combien Jacques Viguier peut percevoir, d'autant qu'il a été relâché « au bénéfice du doute ».
Y a-t-il eu d'autres affaires précédentes ?
La demande de Jacques Viguier est à suivre car elle ne peut pas s'appuyer sur d'autres affaires passées. Je pense que cela créera une jurisprudence intéressante.
Recueilli par Martin Venzal
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