ENTRETIEN. Un Français sur deux est en surpoids : "La nourriture est un formidable doudou", explique une endocrinologue
Le centre intégré de l'obésité de Toulouse est l'un des 37 centres spécialisés de l'obésité en France. Lorsque le Dr Emilie Montastier l'a intégré en 2009, il comptait deux médecins. Depuis, le nombre de consultations et d'hospitalisations de jour a plus que doublé, le nombre de médecins est monté à cinq. Pourquoi une telle évolution? Des réponses avec le Dr Montastier et de Lise Lafargue, diététicienne nutritionniste au CHU. Retrouvez aussi la carte des personnes-ressources en Midi-Pyrénées.
Évacuons un sujet qui fâche d’abord, qu’en est-il de l’idée reçue selon laquelle la difficulté à perdre des kg serait liée à un manque de volonté ?
Dr Montastier : Il faut en finir avec ce dogme-là. Tous les gens qui sont en situation d’obésité ne sont pas des gens qui manquent de volonté. Il faut arrêter de culpabiliser les gens. Je le dis d’entrée aux patients, l’obésité a des causes multifactorielles.
Obésité qui touche de plus en plus de monde en France. L'avez-vous constaté aussi dans votre cabinet?
On a constaté une augmentation claire du flux de patients, effectivement. En nombre de consultations et en nombre d'hospitalisations de jour, on a plus que doublé depuis que je suis médecin au CHU (soit depuis 2009).
Comment expliquez-vous cette hausse importante de la prévalence?
C'est plurifactoriel là aussi. Je pense que le fait d'en parler dans les médias permet finalement aux personnes concernées par l'obésité de le dire à leur médecin. Il y a maintenant des solutions qui peuvent être proposées, alors qu'on était un peu démunis avant le développement des solutions chirurgicales. Et puis, là, sur les 3-4 dernières années, il faut dire aussi qu'on a des solutions médicales, avec des nouveaux médicaments extrêmement prometteurs.
Avec une autorisation de mise sur le marché d'ici combien de temps?
Quelles sont les causes les plus fréquentes de l’obésité ?
Dr Montastier : Une des grandes causes, c’est une enfance malheureuse globalement ; des blessures narcissiques diraient les psychologues, mais aussi des blessures de la vie, le deuil, l’arrêt du tabac…
Lise Lafargue : Il y a beaucoup de causes. Le rapport à l’alimentation, la construction du comportement alimentaire se fait depuis l’enfance. C'est tout un parcours de vie qu'on cherche à retracer pour identifier les événements et permettre aux patients de faire des liens. C’est un gros boulot que le diététicien et le psychologue ont à faire avec les personnes qu’on reçoit.
Dr Montastier : Chez nous, les diététiciens et les psychologues travaillent réellement main dans la main, les deux vont de pair. Justement pour travailler de concert sur le rapport à l’alimentation. On a beaucoup de patients qui font face aux événements en se réconfortant par la nourriture. C’est un formidable doudou finalement. On se réconforte, on comble un vide. Tout l’art est d’arriver à dissocier la récompense et le soulagement de l’alimentation. Et ça, c’est très complexe quand ça s’est construit depuis tout petit. C’est vraiment un long chemin.
Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de recette pour maigrir en dépit de tous les livres qui sortent chaque année sur le sujet ?
Dr Montastier : Il y a plein de gourous, de médecins même, de gens qui prétendent avoir trouvé la formule. Mais il n’y a pas de formule magique qui s’adapterait à tout le monde ; ça se saurait depuis le temps. Finalement, ce qui marche, c’est ce qui convient le mieux au patient. En thérapeutique, on fait un costume taillé sur mesure. On s’adapte complètement à la vie des patients, à leurs habitudes. C'est une approche centrée sur le patient. Sinon, ça ne marche pas, tout simplement.
Ce travail peut se faire en combien de temps ?
Sauf que les délais d’attente pour une consultation spécialité en obésité sont passés de 3 semaines à 3 mois en quelques années. Quels conseils donneriez-vous à des personnes en détresse pendant ce laps de temps ?
Dr Montastier : Pour l’équilibre alimentaire, on peut renvoyer sur le programme national nutrition santé et le site mangerbouger.fr. Ils trouveront toutes les astuces issues du programme national nutrition santé (PNNS). Ce sont les fameuses 10 grandes règles du PNNS, avec 5 fruits et légumes par jour, ne pas manger trop sucré, trop salé; ça donne aussi des repères de quantité sur le nombre de produits laitiers par jour pour avoir les apports en calcium, la quantité de protéines à mettre à chaque repas.
Comment gérer les rechutes?
Lise Lafargue : Il y a un gros travail de déculpabilisation, de dédramatisation. Globalement, on va chercher à amener le patient vers une attitude sereine, flexible, et aussi une capacité à accepter; ça veut dire qu'il va y avoir des rechutes. Il va y avoir des difficultés.
Dr Montastier : On aide les patients à ne pas être dans le tout ou rien. Ou le "c'est foutu, je suis trop nul, je laisse tout tomber". Finalement, on leur apprend un peu à être indulgents avec eux-mêmes. Il y a tout un travail sur la confiance en soi et l'estime de soi qui est mené en parallèle par la psychologue.
Lise Lafargue : Le risque du tout ou rien est très favorisé par les régimes. Cela s'inclut souvent dans ce qu'on appelle la dimension de restriction cognitive. C'est-à-dire, avoir des pensées ou des règles qui visent à contrôler le poids. Cette dimension, si elle est trop marquée, vient mettre à distance les sensations alimentaires et potentialiser la réponse émotionnelle avec l'idée que, "je n'ai pas droit au chocolat, donc si j'en mange un carré, foutu pour foutu, je vais manger la tablette". Je le caricature un peu mais c'est important de venir flexibiliser les distorsions cognitives, parce que ça peut être un facteur d'échec dans sa tentative du mieux être vis-à-vis de l'alimentation et de perte de poids. On sait aussi que ça vient favoriser la réponse émotionnelle. On mange tous, entre autres, pour réguler nos émotions. Mais s’il n’y a pas de perturbation du comportement alimentaire, il y a une contre-régulation qui permet de rendre cela compatible avec un poids stable, un bon état nutritionnel. La restriction cognitive rend cela difficile. Donc, l'idée, c'est aussi de venir travailler sur les règles que se sont imposées les patients, au fur et à mesure des tentatives de pertes de poids un peu restrictives.
Ce qu'a changé le confinement lié au Covid
Est-ce que la crise sanitaire liée au Covid a contribué à l'accélération des cas d'obésité sévère ou morbide ces deux dernières années?
Lise Lafargue : On est aussi dans le contrecoup du confinement, effectivement. Il y a une grosse perturbation de l’équilibre de beaucoup de personnes. On le voit sur les histoires de poids de patient. Beaucoup font remonter une perturbation du poids à la crise sanitaire. Il y a, soit une diminution de l’alimentation avec derrière un rebond, soit au contraire une explosion des troubles alimentaires type compulsion ou hyperphagie boulimie.
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