REPORTAGE. Taxe lapin : "Une sanction de 5€ ne va pas résoudre le problème de la désertification médicale"
Dans les Hautes-Pyrénées, que ce soit en montagne, en ville ou en zone rurale, la perspective de la "taxe lapin" laisse les médecins dubitatifs. L’urgence est pour eux de lutter contre la désertification médicale et non pas contre les rendez-vous manqués, un " phénomène marginal " dit l’un.
Cela fait 45 ans que le Dr Pierre Mesthé pose des diagnostics. Médecin généraliste à Tarbes, il ne confond pas symptômes et maladie. Soigner le mal plutôt que les apparences : c’est son métier. Aux 5 € de la "taxe lapin" pour rendez-vous non honoré, il répond alors par deux chiffres.
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"Nous étions 260 médecins généralistes dans les Hautes-Pyrénées il y a 10 ans, nous sommes 160 aujourd’hui. Sur l’agglomération tarbaise nous restons 26 sur 58, alors, et je suis le vice-doyen à bientôt 71 ans parce qu’on ne peut pas abandonner les patients. Le premier problème est là. La "taxe lapin", c’est une mesurette qui va surtout troubler la relation entre le médecin et le patient", lâche-t-il d’une traite.
Très peu de "lapins"
Ici, au cabinet de médecine générale qu’il tient avec sa fille et une collaboratrice à temps partiel, les remerciements sur son étagère raconte la proximité qu’il entretient avec ses malades.
Des dessins d’enfant, une boîte de chocolats, une statuette malienne, un tajine, une poupée russe… "Dans ce quartier nord, on voit des patients en situation de précarité, on vit la paupérisation de la ville, les migrants et nous avons très peu de "lapins", sauf peut-être un ou deux par jour, mais comme on est plutôt débordés, on ne leur en veut pas ", résume cet ancien professeur de médecine générale à la faculté de Toulouse. "Le vrai problème, c’est la désertification médicale, le nombre de médecins pour répondre aux demandes", insiste-t-il.
"Un million de consultations par jour"
Qu’en pensent les "jeunes" qu’il connaît, en centre-ville, plus aisé ? "Archidébordée, désolée", répond l’une."Ne peut plus accueillir de nouveaux patients", répète le répondeur de l’autre. Le troisième ne décroche pas…
"Si on ne compte que les jours ouvrables, ça fait entre 240 et 300 millions de consultations par an en France, en moyenne. Les "lapins", c’est donc moins de 10 %", relativise le Dr Mesthé.
"Dans les grandes villes, pas ici"
"Et en l’occurrence, c’est plutôt dans les grandes villes où le patient en prend plusieurs sur les plateformes qu’il oublie ensuite de décommander. Chez moi, c’est un problème très marginal", complète en écho le Dr Jean-Daniel Morigny, médecin à Luz-Saint-Sauveur.
En montagne, au carrefour des vallées de Barèges et Gavarnie, la désertification médicale est aussi la priorité. Pas le patient fantôme. "J’ai une patientèle ponctuelle et fidèle et quant aux touristes, s’ils appellent, c’est qu’ils sont dans le besoin. Ils ne ratent pas leur rendez-vous", poursuit-il. Mettant le doigt sur l’autre problème… Le "comment recouvrer cette taxe de 5 € ?".
Et les patients sans carte bleue ?
"On parle de prendre l’empreinte de carte bleue des gens. Moi, j’ai plein de patients sans CB. On fait comment ?", ironise le Dr Mesthé. " Demander l’empreinte bancaire pour taxer les gens, ça me semble difficile", confirme Christine, qui gère le planning des quatre médecins du centre médical de Maubourguet, au nord du département. Des années d’expérience, un "lapin" par jour en moyenne sur l’année : "ce sont toujours les mêmes qui ne viennent pas, sans prévenir, ceux qui vous crient dessus si le rendez-vous n’est pas assez rapide ". Un "problème d’éducation".
Temps de secrétariat
"Est-ce qu’on va prendre du temps de secrétariat pour 5 € qui, charges payées, se transformeront en 2,50 €, alors qu’il y a non seulement la question de la désertification mais aussi celle de la revalorisation de l’acte médical ?", interroge alors le Dr Adrien Traissac, l’un des quatre praticiens, tandis que défilent les patients, sans discontinuer.
"À 26,50 € la consultation, cela ne permet pas d’investir pour moderniser nos matériels de diagnostic alors même qu’on a de plus de mal à orienter nos patients vers les spécialistes", rappelle-t-il. Autre urgence à résoudre en priorité, aussi, pour le Dr Mesthé. "Passé les applaudissements à 20 h lors du Covid, le "bravo et merci", qu’est-ce qui est vraiment fait pour la médecine générale ?", interroge le Dr Traissac. Fier d’exercer un "métier passion". Mais qui "mérite mieux que des poudres de perlimpinpin pour le soigner", lâche encore un confrère. Cinq personnes patientent dans la salle d’attente. "On paye déjà assez ", s’accordent-elles.
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