REPORTAGE. Une fresque taboue. Pourquoi cette petite église tarnaise cache ses murs derrière un rideau
À Livers Cazelles, petit village tarnais de 220 habitants, un rideau de 12 mètres cache les murs du chœur de l’église Saint Pierre. Depuis 25 ans, personne n'est autorisé à voir la fresque qui les habille. Dans le village, l'affaire reste sensible.
« Couvrez cette fresque que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées ». Dans le petit village de Livers Cazelles, 220 habitants, cette tirade – légèrement revisitée — du Tartuffe de Molière reste d’actualité. Pour le curé, comme pour le maire, c’est non. Personne ne doit voir ces murs.
Le secret est bien gardé. Nous n’avons retrouvé ni dessin, ni photo de la fresque litigieuse. "Ne reparlez pas de cette histoire, je vous en prie. Quand j’allais à la pharmacie à Albi, on me riait au nez. Ça va encore créer la polémique", supplie une paroissienne, particulièrement remontée lorsqu'on aborde le sujet.
"La secrétaire en minijupe, main sur les hanches"
Mais que se cache-t-il qui ne puisse être montré à personne ? Pour le comprendre, il faut remonter en 1998. Les murs du chœur ont sale mine. René Caussé, maire de l’époque, aujourd’hui décédé, confie le travail de restauration à Marc Souvreux, un artiste audois. Il y réinterprète la Cène, à sa manière. Le résultat ulcère le curé de l’époque. Pour lui, les personnages représentés relèvent du sacrilège.
« À droite, il y a le maire et les membres du conseil municipal. À gauche, on reconnaît des gosses du village tous laids, la secrétaire de mairie en minijupe, en position de starlette, les mains sur les hanches. Et une dame du conseil, on dirait un mec », décrit une élégante septuagénaire, l'une des rares privilégiées à avoir vu l’œuvre dans son intégralité. Pour elle, pas de doute, « l'artiste nous a pris pour des péquenots ! ».
Pour l’église, il est hors de question de célébrer l’office sous le regard républicain du maire et de ses conseillers. L’histoire s'emballe rapidement. « Ils en ont parlé jusqu’en Autriche ! », s’exclame une dame. « Imaginez que j’aille repeindre la salle du conseil municipal avec les apôtres et moi au milieu », abonde, tout sourire, le curé actuel.
"J’en ai soulevé un pan, et ça m’a suffi"
Voilà pourquoi, un épais rideau cache le travail de l’artiste depuis un quart de siècle. Personne ne doit le soulever. « J’en ai soulevé un pan, et ça m’a suffi. J’ai vu des couleurs rouges, enfin je crois, je suis daltonien », se contente de préciser Monsieur le curé, que nous avons rencontré au centre paroissial de Cordes.
L’artiste, décédé entre-temps, se justifiait à l’époque: « Ces murs étaient gris et tristes. Il fallait donner de la vie. Et puis, j’ai l’habitude de représenter sur mes fresques les gens qui m’ont commandé le boulot ». Dans nos colonnes, notre confrère Patrice Soccia écrivait qu’une solution serait rapidement trouvée : « pour que les rayons d'une paix céleste irradient à nouveau ce petit coin de paradis ».
Un quart de siècle plus tard, la situation reste inchangée. Étrangement, ni la mairie, ni le clergé, n’envisage de faire disparaître ce pan de l’histoire du village. Beaucoup de protagonistes sont morts. Peut-être ne veut-on pas les voir disparaître à nouveau sous une épaisse couche de peinture.
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