ENTRETIEN. Guerre en Ukraine : la mer Noire, "seule zone dominée par l'Ukraine"... que peut-il se passer dans cette région sensible ?
Alors que le président ukrainien Volodymyr Zelensky rencontrait le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis à Odessa, mercredi 6 mars, une frappe russe a visé la ville portuaire de la mer Noire. Cette zone est, paradoxalement, la seule où l'Ukraine surpasse son ennemi, comme l'explique le général Jérôme Pellistrandi, directeur de la Revue Défense National.
Quelle est l'importance stratégique du port d'Odessa pour les Ukrainiens ?
Il s'agit du principal port d'exportation de leurs céréales, de l'ordre de 15 millions de tonnes par an. C'est donc un poumon économique majeur pour l'Ukraine. La Russie en a donc fait, elle aussi, un objectif stratégique : empêcher l'utilisation du port d'Odessa, c'est asphyxier économiquement l'Ukraine. C'est pourquoi les Russes essayent par tous les moyens d'y infliger des dégâts, soit en ciblant des installations portuaires, soit des quartiers résidentiels. Quitte à prendre des risques, comme ils l'ont fait cette semaine, puisque le président Zelensky et le Premier ministre grec auraient pu être éliminés.
Diriez-vous que la mer Noire est la zone la plus stratégique du conflit russo-ukrainien ?
Non, pour moi cela reste un théâtre secondaire, mais qui est essentiel à l'Ukraine parce qu'il lui permet d'humilier très facilement la Russie. Cela a commencé lorsque les Ukrainiens ont détruit le croiseur Moskva, qui était quand même le plus gros bateau de la flotte russe en mer Noire, le navire amiral. Une humiliation sans précédent. Depuis, les Ukrainiens empêchent la marine russe de faire quoi que ce soit en détruisant de très nombreux navires, soit avec les missiles franco-britanniques, comme c'était le cas à Sébastopol, soit par les attaques de drones marins. Une manière de prendre le dessus sur l'ennemi, alors que, sur le théâtre terrestre, les Ukrainiens restent sur la défensive.
La Russie n'a-t-elle pas toujours voulu faire de la mer Noire une mer russe ?
Oui car la Russie n'a que deux accès à la mer, en dehors de Vladivostok sur le Pacifique : Saint-Pétersbourg sur la Baltique, et Mourmansk sur la mer de Barents. Or, l'ambition depuis Pierre le Grand, a toujours été de sécuriser l'accès aux mers chaudes, donc la mer Noire. Mais celle-ci a toujours été contestée entre la Russie et la Turquie, qui verrouille l'accès à la Méditerranée par le Bosphore et les Dardanelles. Alors que, jusqu'à la chute de l'Union soviétique, c'était une mer essentiellement contrôlée par le Pacte de Varsovie, puisque la Roumanie et la Bulgarie en faisaient partie, désormais, ces deux pays, tout comme la Turquie, font partie de l'Otan. Donc le projet de contrôler la mer Noire, la stratégie historique d'accès à la mer de Grèce, qui commence avec Pierre le Grand, a échoué.
La Russie peut-elle déployer davantage de moyens militaires sur cette zone ?
Eh bien non. Parce qu'ils ne peuvent pas transférer de bateaux depuis Mourmansk vers la mer Noire. Pourquoi ? Parce que la convention de Montreux, qu'applique la Turquie, interdit le passage de bâtiments de guerre. Donc, la Russie n'est pas en mesure de renforcer de manière spectaculaire ses moyens, sauf à construire sur place des bateaux de guerre. Mais cela ne se construit pas comme ça en quelques mois.
Et par les airs ?
Là, c'est un peu différent parce que c'est la seule zone dans laquelle les avions russes peuvent voler sans être inquiétés réellement par les missiles ukrainiens. C'est la raison pour laquelle les bombardiers, par exemple, sont au-dessus de la mer Noire, d'où ils peuvent tirer à distance leurs missiles de croisière. Pour autant, on voit bien que les bombardements russes, même s'ils affichent des dégâts importants, ne sont pas suffisamment conséquents pour casser le moral ukrainien.
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