ENTRETIEN. 20 milliards d'économies en plus en 2025 ? "On détricote le système de protection sociale français", analyse un expert
Après le plan d'économies de 10 milliards d'euros en 2024, le gouvernement a annoncé que l'effort devra être au moins deux fois plus important l'an prochain pour ramener le déficit public sous les 3 % du PIB en 2027. Quelles vont être les conséquences économiques d'un tel tour de vis budgétaire ? La réponse de Raul Sampognaro, économiste au département analyse et prévision de l'Office français des conjonctures économiques (OFCE).
Les ministres de l'Economie et des Comptes publics ont annoncé un nouveau tour de vis budgétaire pour 2025, avec 20 milliards d'euros d'économie supplémentaires à la clé. Après le "quoi qu'il en coûte", sommes-nous entrés dans une période de rigueur ?
C'est le cas en effet. Et l'on pouvait s'y attendre. Avec la crise du Covid-19, puis la crise énergétique et le retour de l'inflation, l'économie française a tenu grâce à plusieurs centaines de milliards d'euros d'aide. Et nous savions depuis un moment que ces soutiens allaient progressivement être retirés, car ces quatre ans de crise ont creusé la dette publique. Ce qu'il faut considérer à présent, c'est l'impact sur les ménages des mesures qui seront prises. Elles vont être dures à encaisser.
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Dans ce contexte, que pensez-vous de la volonté de Bruno Le Maire de "reprendre la main" sur l'assurance chômage et de la réformer à nouveau ?
Depuis le premier mandat d'Emmanuel Macron, il y a la volonté affichée de mobiliser les ressources publiques en faveur de ceux qui ont un emploi, c'est une constante. Là, il s'agit d'aller encore plus loin dans cette direction. Force est de constater que cette politique a porté ses fruits en termes de création d'emplois. Mais elle comporte deux risques. D'abord, elle incite les chômeurs à accepter n'importe quel emploi, souvent avec peu de valeur ajoutée et donc moins porteurs de croissance. Ensuite, elle risque de créer de nouvelles poches de pauvreté en retirant des filets de sécurité aux personnes les plus précaires, comme, par exemple, les demandeurs d'emploi de plus de 55 ans. C'est ainsi qu'on détricote le système de protection sociale français.
Quelles seront les conséquences de la baisse des dépenses de l'Etat ?
Elle devrait avoir un effet sur les comptes publics à court terme. Les économistes estiment qu'un euro de moins dépensé, réduit de 50 centimes le déficit. Il est important de savoir quelles dépenses vont être coupées. Car cela peut avoir des conséquences structurelles à long terme. Prenons l'exemple du point d'indice des fonctionnaires, qui est gelé depuis dix ans. Le résultat est une réduction de l'attractivité de certains métiers et de la qualité du service public.
La croissance va-t-elle pâtir de ces coupes budgétaires ?
C'est probable. Car les ménages qui bénéficient des prestations chômages, qui épargnent peu, consommeront moins. Il en ira de même pour beaucoup de fonctionnaires, si, comme je le pense, de nouvelles mesures sur le point d'indice sont décidées l'an prochain. Je ne crois pas qu'on puisse dire, comme Bruno Le Maire, que le fait de taper dans la dépense publique sera indolore pour les ménages. Il y a toujours quelqu'un qui paie l'addition.
Quelles sont les prévisions de l'OFCE pour 2024 et 2025 ? Peut-on imaginer que le pays tombe dans la récession ?
Nous sommes en train de faire nos calculs. Pour l'instant, nous ne tablons pas sur des scénarios de croissance négative d'ici la fin de l'année prochaine. Mais on peut dire que la situation économique de la France est morose.
Bruno Le Maire exclut d'actionner le levier de l'impôt et prévoit même encore des baisses en la matière. N'est-ce pas illogique ?
Il est sûr que si on diminue les impôts dans le contexte actuel, cela va lui rendre la tâche encore plus difficile. Je pense que le discours anti-impôt à tout prix peut s'avérer dangereux. Après avoir géré des crises historiques, cela ne me choquerait pas que l'on mette en place un impôt exceptionnel, soit sur le revenu, soit sur la fortune.
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