DOSSIER. Colère des agriculteurs : "Avec les pesticides, on va continuer d’empoisonner les gens"
Ancien arboriculteur à Montesquieu, Bernard Guignes a développé un cancer de la prostate. L’abandon de l’indicateur français de mesure de l’usage des pesticides, le Nodu, au profit de l’indicateur européen HRI1, comme le réclamait la FNSEA, est un "signal très inquiétant" selon lui. Depuis plusieurs mois, il participe à des interventions auprès de scolaires ou lors d'émissions de télévision. Début février, il était convié au Sénat.
Il se défend d’être un militant écologiste. Bernard Guignes est un ancien arboriculteur de Montesquieu victime des pesticides. Et c’est l’Assurance maladie qui le dit, puisqu’il a terminé sa carrière professionnelle dans le privé. Aujourd’hui, ce père de famille qui redoute toujours une récidive de son cancer de la prostate poursuit un parcours semé d’embûches pour obtenir réparation. En parallèle, le Tarn-et-Garonnais est sollicité de toutes parts pour témoigner sur les plateaux télé ou intervenir auprès de scolaires (lire aussi ci-dessous), notamment dans le cadre de projections débats autour du film "Secrets toxiques", porté par une coalition d’associations environnementales. Alors que le monde agricole est en ébullition depuis deux mois, Bernard Guignes s’indigne d’entendre le gouvernement rétropédaler sur ses engagements s’agissant de la réduction de l’usage des pesticides. Il nous explique pourquoi.
Où en est votre dossier ?
J’ai obtenu une reconnaissance de maladie professionnelle en août 2022 mais le taux d’incapacité physique partielle (IPP) ne me satisfait pas. Ils l’évaluent à 30 % alors que toutes les personnes atteintes d’un cancer que je rencontre sont entre 50 et 60 %. Et bien sûr, la rente est diminuée. Par ailleurs, ils retiennent une date aléatoire de consolidation en janvier 2021, ce qui correspond à un rendez-vous de suivi avec mon chirurgien à Toulouse-Rangueil. Mais initialement, la vraie date retenue par le médecin-conseil de la CPAM est celle du 20 novembre 2019, soit le lendemain de mon ablation de la prostate. Avec mon avocat, nous avons décidé de faire appel et le 24 avril, nous sommes convoqués au tribunal administratif de Montauban pour une audience de mise en état. Le jugement sera rendu ultérieurement et j’espère bénéficier de soutien. Je crois d’ailleurs que dans la région, je suis le premier dans ce cas. Ce n’est pas pour mettre le bazar mais juste pour attirer l’attention sur ce sujet important.
Comment vous sentez-vous ?
Je vais bien mais je vis dans la crainte des analyses du taux de PSA qui ont lieu tous les six mois. Les dernières sont bonnes mais c’est un stress permanent. J’ai deux enfants de 8 et 11 ans : je n’ai pas envie de les abandonner en cours de route.
Que vous inspire le mouvement sans précédent dans le monde paysan ?
Au fond de moi, je suis toujours un agriculteur. Je suis d’accord avec eux sur de nombreux points comme les revenus qui sont catastrophiques, les marges des GSM, certaines normes qui sont ridicules et toutes ces entraves à leur travail. Mais en tant que malade, je suis contre les pesticides et je n’en démordrai pas. On n’a pas le droit de jouer avec la santé des agriculteurs, des riverains, des consommateurs et la survie de la planète. Ces décisions sont prises par des irresponsables et un jour, au même titre que pour des scandales comme le Mediator, ils devront en répondre.
Comment analysez-vous le rétropédalage sur le plan Ecophyto ?
Mettre en sommeil le troisième plan Ecophyto, sachant que les deux précédents n’avaient pas marché, est un signal très inquiétant. Pour Emmanuel Macron et Gabriel Attal, il s’agit de calmer le jeu. Les agriculteurs ne sont pas nombreux mais ils font beaucoup de bruit. Certes, ils ont le soutien de la population car ils nourrissent les gens, mais il faut le faire avec des procédés corrects. Pendant ce temps, la FNSEA tient un double discours alors que se profilent les élections dans les chambres d’agriculture [en janvier 2025]. Le syndicat majoritaire va encore s’approprier 90 % des sièges et ce n’est pas normal. C’est une complète cogestion du pouvoir et certains agriculteurs de la région s’en rendent compte.
Que préconisez-vous ?
Je suis intervenu il y a peu au lycée agricole de Figeac avec 120 gamins en face de moi. Plusieurs d’entre eux m’ont demandé quelles alternatives existent pour se passer des néonicotinoïdes dans les cultures betteravières. Dans l’Aveyron, on n’est pas sur de grands champs, c’est plus des parcelles jusqu’à 200 ha. Donc la seule solution, c’est de replanter des haies car là-bas, ils en ont beaucoup supprimé. Cela fera revenir les oiseaux, les insectes prédateurs pour contrer les pucerons verts notamment. Il faut des bocages, des zones humides par blocs de 20 ou 30 ha. Je n’ai jamais été agronome mais avec les pesticides, on tue tout ce qu’il y a dans le sol, c’est un truc de fou ! Le système de monoculture entraîne l’appauvrissement du sol en matières organiques. Maintenant, les grands céréaliers vendent de la paille, c’est une catastrophe car ça permettait d’apporter de l’humus. Et vu qu’il n’y a presque plus d’élevage dans beaucoup d’exploitations, on n’épand plus de fumier non plus. Alors que c’était une ressource gratuite.
Et le sol, c’est la clé…
Sauf peut-être en Aveyron, les sols de beaucoup de régions affichent des taux de matière organiques d’1,5 % alors que cela devrait être entre 2,5 et 4 %. À 4 %, le sol est capable d’assimiler les éléments, de développer la vie et il retrouve sa capacité en rétention d’eau. Un sol appauvri est sujet aux ruissellements, aux inondations : tout est lié. L’usage de la chimie n’est jamais neutre et ses conséquences sont irréversibles. Mais en France, on préfère développer la production de maïs à grands coups de pesticides sur des sols inertes afin d’alimenter des méthaniseurs géants. Et on subventionne la construction de méga bassines, qui vont affaiblir la nappe phréatique, pour irriguer ce même maïs qui alimentent les méthaniseurs. C’est complètement aberrant.
Et le glyphosate est réhomologué pour dix ans...
Il faut savoir qu’on n’utilise jamais le glyphosate seul, il y a toujours des produits "co-formulés". On a entre 25 et 40 % de glyphosate et le reste, ce sont des adjuvants, ‘co-formulants’, dérivés pétrochimiques. Tout ceci rend la molécule du glyphosate plus efficace et plus systémique. C’est-à-dire qu’elle pénètre plus dans la plante. Mais les dossiers d’homologation de produits comme Rond’Up, Clipper, Kyleo, Glister, Pistol et j’en passe sont secrets. Même l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) ne sait pas ce qu’il y a dedans. Donc ils vont continuer à empoisonner les sols, l’eau, les gens. Les zones de non-traitement sont insuffisantes car même sans vent, les molécules restent en suspension et sont capables de se propager bien au-delà de la parcelle. C’est comme cela que certaines productions en bio sont déclassées. Je souhaite d’ailleurs bon courage aux voisins de cultures de pommes…
Un motif de satisfaction malgré tout ?
Au lycée agricole de Figeac, j’ai découvert que dans leur programme, une grosse partie était réservée à l’agroécologie, aux méthodes alternatives et ça a tendance à me rassurer. J’ai senti des professeurs d’agronomie notamment très à l’écoute et ça m’a rassuré. Même si la lutte sera encore longue. Je suis en contact avec le lycée agricole de Moissac mais je n’ai aucune casquette d’écolo : je suis juste là pour sensibiliser les gens.
Haies et Bocages : un mille-feuille administratif
Entraves aux engins agricoles, manque de temps et de main-d’œuvre, coût, ombre, risque de contamination ou de prédation de cultures : les haies et les bocages peuvent s’avérer contraignants à entretenir, même si le gain en termes de biodiversité est indéniable. Or, comme le relève Mediapart dans un article du 28 février, « le coût de gestion repose presque uniquement sur les agriculteurs ». Dans le cadre de la PAC 2023-2027, la France a opté pour un « bonus haie ». Sept euros par hectare dès lors qu’on justifie de 6 % de haies dans son exploitation et qu’on est engagé dans un plan de gestion durable de haies certifié (PGDH). Les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) prévoient 800 euros par hectare mais il faut avoir souscrit à un PGDH et se former à ses frais. Et pour les aides à l’hectare, qui existent depuis 2015, c’est un véritable casse-tête entre les surfaces admissibles aux aides surfaciques, les surfaces non agricoles et la conversion en surfaces d’intérêt écologique. Sans oublier les impératifs liés aux schémas de cohérence écologique (SRCE) et les plans locaux de l’urbanisme.
Mediapart, BFM TV, le Sénat : les sollicitations se multiplient
Il est sur tous les fronts. Membre de l’association des victimes de pesticides de l’Ouest, Bernard Guignes a participé, le 5 février, au colloque "Amiante et pesticides" qui se déroulait au Sénat, à l’initiative d’un regroupement de 14 mutuelles inquiètes face à "l’augmentation inédite de maladies chroniques, comme le cancer, en partie dû aux pesticides". L’idée étant d’interpeller les pouvoirs publics sur ce "sujet de santé publique qui est en train de nous péter à la figure", relève Bernard Guignes qui faisait partie des quatre agriculteurs qui ont témoigné face aux sénateurs.
Début février, il a également été interviewé par BFM TV. Un peu échaudé par les coupes effectuées sur son propos - "ils n’ont passé que 3 minutes de mon discours" -, il l’a fait savoir aux journalistes du média national. Entendu puisque nos confrères l’ont à nouveau sollicité pour un débat qui aurait dû avoir lieu il y a quelques jours en présence d’Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Agriculture et la Souveraineté alimentaire. Annulé, cet échange doit normalement être reporté.
Enfin, l’ancien agriculteur tarn-et-garonnais a participé, en novembre dernier, à l’émission "À l’air libre", de Médiapart, sur la thématique "De la chlordécone au glyphosate : la parole aux victimes de pesticides". Assis aux côtés de Sabine Grataloup, cette mère dont le fils Théo a été reconnu comme la première victime de pesticides in utero, Bernard Guignes est revenu sur son parcours d’arboriculteur. "Il y avait des agriculteurs victimes de Parkinson ou de lymphomes dont certains sont encore en activité. Tous ont obtenu la reconnaissance de maladie professionnelle. Ce sont des gens formidables qui continuent à se battre."
J'ai déjà un compte
Je me connecteVous souhaitez suivre ce fil de discussion ?
Suivre ce filSouhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?