REPORTAGE. Pénurie de médicaments : les pharmaciens confrontés au "devoir de débrouille"
Face aux pénuries, les pharmaciens jouent la carte de la solidarité mais aussi des heures de veille devant leurs écrans, afin de pouvoir immédiatement commander les rares boîtes disponibles des médicaments en tension.
À Rabastens-de-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées, les pharmacies Gerbet et Berdoues sont au 22 et au 41 de la place Centrale. Concurrentes face à la pénurie ?" Non, nous avons les mêmes problèmes que partout et on s’entend bien. On se dépanne l’un l’autre ", sourit Michèle Gerbet.
Antibiotiques, cortisone, collyres, ici comme ailleurs… " Tous les matins j’appelle le grossiste. Tout ce qu’on peut prendre, on prend", poursuit la pharmacienne. Avec les angines, les grippes et les covid "qui peuvent dégénérer en pneumopathies", l’amoxicilline est le premier manque à pallier. "Mais ici, en milieu rural, l’entraide est naturelle", pointe son confrère François Berdoues. "On joue sur les différents fournisseurs qui n’ont pas forcément les mêmes stocks en même temps […] un devoir de débrouille pour pouvoir fournir leurs médicaments aux patients", poursuit-il.
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Veille permanente des stocks chez les grossistes, solidarité entre officines et/ou appel du médecin pour trouver un médicament équivalent en cas d’absence de celui prescrit, "à condition qu'il décroche parce qu'il est lui aussi surchargé..." : "on jongle en permanence", constatent tous les professionnels. "Dès 7 h du matin, je suis devant l’ordinateur", confie Sylvie Parent, à Séméac (Hautes-Pyrénées), évoquant "Noël" lorsqu’elle découvre dans le carton "des boîtes qu’on n’avait plus vues depuis des mois."
Six à huit heures au téléphone
"Je passe en moyenne 6 à 8 h au téléphone par semaine à cause de ces ruptures", confirme Bruno Galan, président régional du Conseil de l’Ordre des pharmaciens (2 500 officines en Occitanie), installé dans les Pyrénées-Orientales. Et comme "personne ne sait quand et de combien de boîtes il sera livré", tous s’inquiètent. Ce faisant, de patient à impatient, "pour l’amoxicilline les gens se fournissent en Espagne s’il n’y en a pas ", constate-t-il, à l’instar d’autres pharmaciens frontaliers ayant déjà vécu la même ruée sur le Lévothyrox.
Face à ces ruptures ? "Si je peux, je fais des stocks", reconnaît Hervé, récusant le discours gouvernemental qui veut rendre coupable de la pénurie cette prévoyance "alors que c’est un problème de production". "L’Inde et la Chine vendent au plus offrant. Si la boîte est à 1,50 € en France alors qu’elle est à 4 € en Espagne, ils livrent d’abord l’Espagne", rappelle-t-il.
Antidiabétiques, le scandale des influenceurs
Catalogne, Pays basque ou ville à ville… La chasse à la molécule en tension se fait nomadisme, constatent les pharmaciens. Sylvie Parent se souvient ainsi "de gens en camping-car qui arrivaient de Bayonne pour un antidiabétique".Les antidiabétiques : gros problème depuis que des influenceurs en ont fait la pub mensongère pour maigrir et que se multiplient de fausses ordonnances… "On va vers un problème équivalent à l'affaire du médiator, car ça bousille la santé", pointent les professionnels.
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"On en manque pour ceux qui en ont vraiment besoin", note Michèle Gerbet, livrée de 5 boîtes d’Ozempic le mois dernier pour…6 patients. Des pénuries qui pourraient encourager les trafics ? " Nous n’avons rien constaté", indiquent les Douanes. Et "la traçabilité rend cela très difficile, notamment grâce aux numéros de série », rappelle Bruno Galan. Pour autant ? "Des produits commandés sur internet, je n’en ai pas connaissance mais je suis sûr que cela existe", prévient-il.
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